08/10/2019

Lotissements



Lotissements
naissance de l'abondance
 (extraits choisis)

un autre texte en cours d'écriture
version brouillon comme tout ici, 
non corrigé pas mis en page.

Quelques fragments ont été publiés
 dans le journal Hector.






On peut ausculter le temps, couper l’herbe avec les mains. Regarder les voitures passer, poser des clous sur les routes, pour voir les choses s’arrêter, faire des puits. De petits puits d'herbe séchée, de paille, des nids comme des puits. Au centre dans le creux on y place le papier de riz rouge, celui qui emballait les petits explosifs. On fera sauter les machins plus tard. D’abord on met le feu au nid, ensuite on y pense pas trop, l'heure passe vite. On repousse encore on fait mine d'oublier qu'on devait rentrer. Et pendant ce temps, le nid se consume en grosses flammes. Nous rajoutons du papier, de vieux mouchoirs, de l'herbe qu'on ratisse avec nos mains, nos doigts, nos ongles. La nuit tombe.


On se donne rendez vous à la butte ou sur le terrain. On fait des tours, nous parlons. Nous faisons de petits feux derrière la butte qui nous abrite. On a pas le droit mais. On joue au foot ou on fait des tours de terrain. On joue aux boules aussi, parfois on se les jettes dessus. On fait des courses de vélo autour du terrain, on imagine qu'il est miné.


Ici pas d’écume, ni de digue, où la route, le rond point, des caillasses, pas de lyre. Des objets qu’on reçoit, des jeux qui occupent, dans des gymnases ou des écrans. On se passe la manette. On se tacle lors de jeux obscurs où la balle est le centre de tout. On ne comprend pas bien les équipes au début, c'est toujours le début. On se change dans des pièces froides où marcher pieds nus suppose un devenir verrue, on se presse. À l'école l'heure est compté on est en cours, on court, en rond. La personne qu'on doit écouter siffle dans un truc, elle gueule : stop !, on arrête, et tant mieux. On épongera notre fatigue et ses laisses pendant les deux heures qu'il nous reste, de sciences-humaines et de géographie. Aujourd'hui on n'a pas d'ennemi, à la sortie rien à craindre.

(...)

Parfois les vitres tombent. Ce sont des bouteilles d’éther vides qui les tiennes depuis qu'un pylône plus monstrueux que la tour Eiffel et un transformateur électrique d'environ 200m² loi carrez viennent d'être installé. On dispose du paysage comme de ses habitants. On est pas grand chose dans tout ça. C'est comme ça qu'on nous considère, transposable à souhait, compostant, éléments parmi d'autres servant à composer le vide pour lequel nous concourons. Point par point le monde est rongé, et il faudrait encore essayer de sourire. Les vitres sont retenues par un flacon vide, le courant a été coupé, les verrous défoncés, il n'y a pas vraiment d'intérieur. On entend dehors le bourdonnement ininterrompu du transformateur électrique, les claquements soudains du courant en excès, cette surtension qui nous habite et joue de la mort avec nous.


Certains sont arrivés là pour ou par le travail, par manque de moyens, rarement par choix. Le travail ne dure pas toujours. On nous donne du travail comme on nous le reprend. On travail pour quelqu'un, pour une boite, on est préparateur de boites, techniciens-domiciles. Pour commencer, on nous a appris à chercher du travail. Nous sommes avant tout des chercheurs dans le domaine bouché du travail. On en vient à incarner seul tous les domaines de la servitude, on en vient à œuvrer pour tous les domaines du désœuvrement et de la solitude.

Les quartiers sont des villes. Notre quartier était un rond point.


Tous, sans moyens, classe moyenne moins, plutôt classe manquante, déclassée, classe oubliée sans classe, habitués à déshabiter. Nous sommes cette partie du monde qui n'est pas sondé, nous sommes des millions d'oubliés. Sous nos yeux les décisions sont prises. Nous sommes fait, impliqué dans le bon déroulement de notre propre mise à mort.

(...)

On se côtoie, ils disent qu'on se fréquente, certains ne vont pas à l’école. Il faut occuper le temps ou se laisser occuper par lui. On s'appelle d'une porte à l'autre on s'appelle d'une fenêtre à l'autre d'un fil à l'autre. On fait des gâteaux. Il y a ceux qui traînent et ceux que l'on empêche de traîner avec ceux qui traînent. Les traînards ici ne sont pas bien vu. Ils sont souvent ceux dont les parents n'ont pas de travail. Plus de la moitié des habitants du quartier n'ont plus de travail. Nous n'avons pas encore l'âge de travailler, à défaut nous nous battons. Les parents qui travaillent sont les absents, les travailleurs sont absents. Comme le père qui part avant que le jour ne se lève. Les femmes, mères et sœurs, sont souvent enfermées là, elles tiennent le quartier, les pas de portes, les fourneaux, les gamins. C'est encore le vieux monde qui persiste, lamentablement. On a de l'imagination, on imagine que tout ça n'a aucun sens, on pense que ça ne va pas durer, on se dit que plus tard on ne sait pas ce qu'on fera, on se projette difficilement plus loin que dans le quartier d'à côté, et vouloir rejoindre le quartier d'à côté, c'est déjà prendre des risques.

On s’observe, on s’emmerde. On collectionne les trucs qu'on trouve. On se jette des regards. Puis des sourires. Puis des caillasses. On simplifie les choses. Directement. On mange des graines on jette la coque par terre on attend là on est juste là. On attend quelqu'un si tu veux. On ne fait qu'attendre. On crache, des coquilles ou de la salive. On découpe des branches machinalement en parlant. On se dit des trucs dans le dos du monde autour. En ce moment c'est sa coupe. On a des passions provisoires en fonction des arrivages, des nouvelles figures, des fins de stocks. En banlieue de campagne, on a les fins de stock des banlieues des villes, qui eux même héritaient des fins de stocks des villes. On se passionnait des copies de copies. On naît comme désagrément.

Souvent la nuit tombe au rythme des portes de garage. Il se passe souvent quelque chose dans notre part de quartier. Les choses demeurent incertaines, comme le quotidien de tous. Une bagarre, un accident, une fête, un anniversaire ou un incendie. Parfois rien, l'ennui. Très souvent les fêtes nationales finissent mal, déjà on y va craintifs, craignant. La nuit tombe, la lourdeur de l'air et les mauvais vins font l'ambiance, se mélangent aux quelques drapeaux qui flottent ou coulent, c'est selon. On assimile les drapeaux à une ambiance de merde. Souvent les soirs où les drapeaux sont sortis ça sent le vomi au pied des murs. On va au feu d'artifice mais si on est trop petit on doit rester loin, dans le noir ça envoie des explosifs maison qu'on fait dans les garages. Il y a deux modèles différents de portes de garages. C'est pas des garages électriques. Quand un garage s'ouvre tout le monde le sait. On sait que c'est le premier à aller au travail, la nuit, le matin, ou à rentrer du travail, la nuit, le matin. Si il y a eu des traces de pneus sur le stade c'est autre chose. Très souvent le garage est un placard de plus. L'ennui tombe sur nous, l'époque est loin, en bord de route.

(...)

À l’école, nous regardons les cloportes, dans les boites avec de la terre. Les cloportes se cachent de la lumière, rutilants. À la maison je dessine un cheval de mythologie. Je contourne le bois, aligne des planches, une à une. Je pense aux cloportes.

On se réfugie, sous un arbre, dans un arbre, un coin, une rue, un garage, une forêt, sous un porche, dans un tiroir, au dessus d’une feuille de papier. On se retrouve seul face au papier silencieux.

Nous longeons les sillons tracés dans la terre par les machines, les tranchées, pour y trouver des morceaux d’amphores ou de tuiles, à la recherche d’un passé, d’une histoire. C'est un ateliers, on y va plutôt que de trainer. Nous ne remuons pas la terre nous la parcourons sur la pointe des pieds. On se raccroche à ce qu’on peut, on apprend à situer. Toujours enfant, et déjà, on rassemble les morceaux. Longer les sillons, les lignes, nos lignes. On se sent proche de la forêt, de la terre meuble qu'on foule. On apprend à faire attention au sol, on apprend à quitter un après midi la dureté des murs où l'on grandit.

(...)